Sacrés Français !

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Quasiment lors de chaque déplacement effectué dans les événements professionnels européens consacrés à l’immobilier d’entreprise et à l’environnement de travail – souvenez-vous, il fut un temps où c’était possible ! – j’entendais la même litanie : « Vous, Français, êtes vraiment particuliers. C’est vraiment plus difficile de manager en France qu’ailleurs… ».

J’avoue que j’écoutais souvent avec un demi-sourire aux lèvres et l’idée que c’était une des conséquences de cette réputation, pas toujours usurpée, qui nous colle à la peau : léger complexe de supériorité, tendance à voir le verre à moitié vide, habitude des jours de congés et des grèves, etc… Une sorte de petite et gentille vengeance de nos amis européens…

Mais à bien y regarder, manager des équipes en France ne fait pas plus rêver les Français eux-mêmes. En 2018, une étude de la Cegos montrait déjà que seuls 34 % des salariés français aspiraient à devenir manager. Et nombre de spécialistes RH confirment cette tendance : il est de plus en plus difficile de convaincre un collaborateur de prendre des responsabilités managériales. Les raisons invoquées sont multiples : peur de manquer de temps, au détriment de la vie privée, procès en légitimité, injonctions paradoxales et manque de soutien de la direction, sentiment d’être pris entre le marteau et l’enclume… Bref, le jeu en vaudrait de moins en moins la chandelle.

Au-delà de ce constat, je demandais un jour à Alain d’Iribarne, sociologue émérite et président du conseil scientifique d’Actineo, l’observatoire de la qualité de vie au bureau, s’il y avait vraiment des raisons objectives à cette particularité soulignée par mes interlocuteurs européens. De sa réponse, un élément m’a particulièrement marqué : la France est le pays où la distance hiérarchique entre le chef d’équipe et ses collaborateurs est la plus forte au monde. Même le Japon, réputé pour son culte du chef, vient après nous ! Le statut de cadre, unique sur Terre, y est sans doute pour beaucoup, accordant des tas de prérogatives spécifiques à cette caste de salariés.

Quoi qu’il en soit, nos particularités viennent à nouveau d’être mises en exergue par la dernière étude de la Fondation Jean Jaurès consacrée au télétravail et dont vous découvrirez les principaux résultats dans les newsletters de la semaine. Menée sur les cinq pays européens les plus peuplés, elle consacre notre pays bon dernier dans l’adoption du télétravail. Bien qu’en développement, comme partout ailleurs, la pratique ne concerne que 34% des salariés français, contre 61% des Allemands ou 56% des Italiens.

Parmi les facteurs d’explication, devinez quoi ? Une différence bien plus marquée en France qu’ailleurs entre les cadres… et les autres ! Et devinez quelle conséquence cela a ? Une grande frustration des « autres », qui aspirent à y recourir tout autant que les premiers !

Il serait vraiment temps, à l’heure du développement de modes de travail hybrides qui bousculent et vont bousculer considérablement les rapports au travail et entre les travailleurs, de faire évoluer nos conceptions du management, du manager et de réfléchir à la pertinence de ce fameux statut de cadre.

Sinon, on va finir par vraiment mériter notre réputation. Sacrés Français !

Très belle semaine.

Lionel Cottin
Directeur de la Rédaction ANews WorkWell

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