[EDITO] Tiers-lieux : les doutes après la crise de croissance ?

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La France des tiers-lieux s’était donné rendez-vous à Metz fin octobre pour discuter de son organisation et de son avenir. Pendant trois jours au sein des 450 m2 du tiers-lieu Bliiida, près de 800 représentants de tiers-lieux ont échangé à travers une centaine d’ateliers, de tables rondes, groupes de travail et échanges de témoignages, sans compter les espaces d’expression spontanée. Un programme vertigineux, à l’image des enjeux qui se présentent à ce mouvement jeune et en plein doute. Au programme, des questions aussi existentielles que : pourquoi et comment s’organiser et à quoi servent les tiers-lieux ?

Cette première rencontre nationale des tiers-lieux, organisée sous la houlette de France Tiers Lieux, émanation de la mission menée par Patrick Levy-Weitz, Rémy Seillier et Emmanuel Dupont en 2018, a permis de mettre en lumière l’action et l’importance sur le tissu socio-économique local de ces établissements hybrides. Selon le rapport 2021 de France Tiers-Lieux, les tiers-lieux sont 75 % à proposer du coworking, 30 % des ateliers de fabrication numérique, 27 % sont des tiers lieux culturels tandis qu’entre 14 et 19 % proposent des ateliers artisanaux partagés, des laboratoires d’innovations sociales et/ou des cuisines partagées, étant entendu que la plupart font plusieurs de ces activités en même temps.

Mais après la folle croissance de ces espaces originaux qui ont maillé le territoire en quelques années, vient la phase de consolidation. Bien loin des espaces développés par les grands opérateurs du tertiaire que sont Wework ou HGW, beaucoup ne sont pas rentables (Wework non plus me direz-vous…) et les problèmes de financement et de modèle économique se sont vite posés.

Comme souvent en France, c’est vers l’Etat que les acteurs se tournent lorsque les temps deviennent difficiles. Ainsi sont nés la Fabrique de Territoire en 2019 (45 millions d’euros pour identifier 300 fabriques de territoire, existantes ou en projet, dont 150 implantées en Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville et 150 dans les territoires ruraux) ou encore les Manufactures de Proximité (100 établissements pour 30 millions d’euros).

En septembre, France Tiers Lieux a créé un Groupement d’Intérêt Public (GIP), à qui elle a légué son nom, avec l’État et l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT). France Tiers Lieux, devenue l’Association Nationale des Tiers-Lieux (ANTL), souhaite « fabriquer de nouveaux outils, des communs, des modes opératoires, qui facilitent et permettent aux tiers-lieux d’apporter leurs contributions ». Certes, mais quelles contributions ? Là est tout l’enjeu.

Les débats ont porté une vision du tiers-lieu en tant que dynamique sociale plutôt que comme opération immobilière, et défendu la liberté de mener des actions face aux cases à cocher pour obtenir des financements. Certains ont raconté leurs semaines à rallonge pour un salaire pas bien élevé, se souvenant avec émotion des débuts du mouvement, quand « on squattait avec plaisir les canapés des uns et des autres ». Il y a, sous-jacente, la peur de l’institutionnalisation et des effets d’opportunisme.

Après l’euphorie vient donc le temps des grands questionnements pour les tiers-lieux. Pour être pérenne, il faut être utile, sans que cela n’assure d’être rentable. La grande hétérogénéité des offres complique encore la donne, de même que le mouvement moins fort qu’anticipé, pour le moment, de départ des Français des grands centres urbains vers les campagnes. Le mouvement des tiers-lieux est entré en zone de turbulences. Pas facile de piloter dans ces circonstances…

Toute l’équipe d’ANews WorkWell vous souhaite une belle semaine et vous donne rendez-vous très vite pour sa table-ronde intitulée « Comment renforcer l’aspect sociétal de ses prestations ? » (pour recevoir le replay en exclusivité, inscrivez-vous sur le lien suivant : Agora Live Facilities – inscription Replay – Galas).

(1) Lien vers le rapport : Rapport 2021 de France tiers-lieux – Nos territoires en action

Lionel Cottin
Directeur de la rédaction