[EDITO] Saurons-nous un jour reconnaître la valeur d’un sourire ?

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Les années passent et se ressemblent, malheureusement, lorsqu’il s’agit de nos métiers.

Après avoir été traités de métiers « non productifs » (quelle horrible expression !), de métiers « supports », de métiers de « seconde ligne », nous voici carrément relégués à… l’invisibilité !

Certes, le dernier rapport de la Fondation Travailler autrement (1) ne traite pas que nos métiers d’« invisibles ». Ils sont nombreux à se voir décerner ce triste qualificatif. D’ailleurs ce ne sont pas tant les métiers que les personnes qui y sont ainsi catégorisés : des travailleurs « du back office des services » qui « sont surtout liés par le manque de perspectives sur leur avenir et le caractère contraint de chaque aspect de leur vie » décrit le rapport.

On y retrouve, évidemment, nombre de salariés de nos métiers : agents d’entretien, de sécurité ou de restauration, déménageurs, livreurs, factotums… et sans doute, en cherchant bien, en trouverions-nous bien au-delà, dans l’accueil, le courrier, la conciergerie…

Mais pourquoi ces métiers sont-ils si peu valorisés dans notre société ?

Attachés à des tâches logistiques, sous-entendu plus manuelles qu’intellectuelles, ils sont considérés comme apportant peu de valeur. Leurs heures doivent être faites, leurs tâches réalisées, si possible sans déranger les « productifs », sous-entendu les salariés qui, eux, créent de la valeur… Par contre, les jours de pandémie, les seconds doivent rester chez eux pour se protéger tandis que les premiers doivent continuer eux aussi à faire tourner le pays, mais à leurs risques et périls. Injustices en série pour des métiers dont le quotidien est de prendre soin (le fameux « care » vanté par tant de DRH et de DET), de protéger, de nourrir et d’aider leurs semblables ! Alors, que faire ?

Et si nous commencions le « care » par nos propres métiers ?

Il me revient en tête la magnifique vidéo réalisée l’année dernière par la direction de l’environnement de travail de Danone mettant en valeur ses métiers et, surtout, ses visages.

Cette initiative a le mérite de répondre à l’un des enjeux auxquels nos métiers sont confrontés et qui est relevé par le rapport de la Fondation Travailler autrement : celui du sentiment d’inutilité sociale et d’un manque criant de reconnaissance humaine. Peu ou pas de sens donné au travail réalisé, peu ou pas de perspectives de progression professionnelle, ni même de seulement apprendre…

La mission d’un DET, c’est aussi de donner un sens aux tâches réalisées chaque jour, des perspectives, un horizon. A ses équipes comme à celles, par ricochet, de ses partenaires externes, et ce, quelles que soient les conditions des contrats conclus. Un contrat enferme souvent plus qu’il ne libère de la valeur. Surtout dans le service ! Les DET peuvent et doivent libérer cette valeur.

Le « care » serait également de travailler sur le degré d’autonomie de ces salariés du back office et sur le style de management, souvent directif du fait de la nature exécutive des tâches qui leur sont assignées. Bref, donner quelques marges de manœuvre à des personnes soumises en sus à des postures physiques pénibles et à des horaires souvent atypiques.

Enfin, et si nous travaillions, collectivement, à établir la valeur d’un sourire ? Je caricature bien sûr, mais vous comprendrez mon propos. Que vaut une prestation de propreté ? Quelques heures de SMIC ou plus que cela ? Que vaut l’interaction à l’autre, sa satisfaction vis-à-vis non pas d’une prestation désincarnée mais d’un service rendu par un être humain ? Et surtout, comment lui apporter une plus grande valeur aux yeux des bénéficiaires, s’il faut en passer par là, pour enfin sortir ces métiers de leur impasse ? Je recommande, sur ces sujets, la lecture de la dernière publication de la revue Metis Europe (2).

Je recevais récemment Xavier Baron, sociologue et coordinateur du CRDIA, structure qui déploie des recherches précisément sur ces sujets. Donnons-lui les moyens d’aller au bout de cette réflexion. Pour en finir avec ces expressions qui font mal et en faire émerger de plus dignes, bien plus méritées.

Toute l’équipe d’ANews WorkWell vous souhaite une belle semaine, en toute visibilité !

Lionel Cottin
Directeur de la rédaction

(1) Rapport de la Fondation Travailler autrement : « Les Invisibles. Plongée dans la France du back office », Mars 2022. Lien : Les Invisibles, plongée dans la France du back office
(2) Dossier de la revue Metis Europe « Les métiers du quotidien », Mars 2022. Lien : https://www.metiseurope.eu/