[EDITO] L’« immobilier as a service », menace pour les directions de l’immobilier et de l’environnement de travail ?

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Après une période d’expansion débridée entre 2015 et 2019, les perspectives du marché du coworking s’annonçaient plus maussades dès la fin 2019. Les experts de l’institut Xerfi prévoyaient alors que le secteur allait enregistrer en 2020 un recul historique de son chiffre d’affaires de l’ordre de 20 à 30 % en fonction des exploitants.

2020 aura marqué un tournant encore plus décisif qu’anticipé pour les opérateurs de coworking !

Pourtant, alors que certains promettaient le pire aux espaces vibrants et partagés de ce type à l’heure où les considérations sanitaires poussaient plutôt à la distanciation et au repli sur soi, le marché du coworking a trouvé un regain de santé grâce aux entreprises, des PME surtout, qui ont choisi d’abandonner leurs locaux au plus fort de la crise.

Ce mouvement a convaincu un certain nombre d’opérateurs, foncières, property managers, exploitants d’espaces de coworking et même aménageurs, de l’intérêt de proposer de nouvelles offres « clés en main » aux entreprises, un « immobilier as a service », prêt à être occupé.

C’est ainsi que sont apparues les offres de « bureau opéré » pour compte de tiers (propriétaires ou utilisateurs) qu’on appelle parfois « corpoworking ». Le bureau opéré, c’est le coworking sans le « co », une manière détournée de qualifier l’externalisation complète de la gestion de l’environnement de travail.

Tout ou presque est pris en charge dans le contrat d’hébergement que vous passez avec l’opérateur exploitant de l’immeuble : surface, aménagements, mobilier, Internet, services d’entretien et de sécurité, équipements et services collectifs et même l’animation du site, à peu près le seul héritage (avec la déco) restant des espaces de coworking d’antan.

Tout y est ajustable et louable à la demande, surface, services, consommables… La flexibilité ultime et le rêve de certains directeurs de l’immobilier et de l’environnement de travail, dont on pourrait du coup légitimement se demander ce qu’il peut bien leur rester à faire…

Car c’est là qu’est le hic. En déléguant la quasi-totalité de leur périmètre fonctionnel, les managers de l’environnement de travail pourraient en effet se trouver questionnés sur leur utilité. Déjà que beaucoup d’entre eux pointent régulièrement le manque de connaissance et de reconnaissance envers leurs métiers en interne, que va-t-il se passer lorsque ces métiers s’effaceront au profit d’un opérateur de bureau opéré ? Une sorte d’ubérisation à l’envers, avec de grands opérateurs intégrés de l’environnement de travail qui éclipseront les directions internes des entreprises qu’ils hébergent.

Paradoxalement, l’émergence de ces offres d’« immobilier as a service » a fait naître l’impensable, à savoir des géants de l’environnement de travail, comme Regus en son temps, devenu IWG depuis, ou Wework plus récemment. Leur force de frappe en matière de communication et de business a plutôt permis une reconnaissance mondiale de l’importance de ce marché de l’exploitation de l’environnement de travail, tant en termes financiers que de transformation de la société et des modes de travail, et on ne peut nier que cela a rejailli positivement sur la profession toute entière.

Certes, mais quel coût tout ceci aura-t-il pour les directeurs et responsables de l’immobilier et de l’environnement de travail ? A ce stade, il est encore difficile de répondre à cela mais nous pouvons facilement prédire que tout le monde ne sera pas impacté de la même manière.

Comme souvent, la taille de l’entreprise fera la différence. Il est peu probable que les très grandes entreprises externalisent l’intégralité de la gestion de leur environnement de travail. Le coût et le risque serait immense et d’ailleurs aucun opérateur ne serait en mesure d’y répondre. Quoi que… Avant sa chute, Wework avait signé quelques méga contrats de bureau opéré avec de très grands noms et sur un périmètre mondial. Il ne faut donc jamais dire jamais… Mais enfin, gageons que les cibles prioritaires seront plutôt les jeunes pousses en forte croissance et les entreprises de taille intermédiaire en quête de flexibilité et de transformation rapide de leurs modes de travail, pour des raisons aussi bien financières qu’organisationnelles et d’image.

Pour celles-là, la nécessité de disposer d’une direction de l’immobilier ou de l’environnement de travail pourrait être moins évidente et possiblement challengée par l’apparition d’une direction de l’expérience collaborateur ou du « future of work », comme on le voit déjà aux Etats-Unis.

L’« immobilier as a service » cherche encore son modèle. La chute spectaculaire de Wework a laissé des traces mais n’a pas découragé les initiatives et il sera intéressant de voir les directions que ce marché prendra, et les conséquences que cela pourrait avoir pour les directeurs de l’immobilier et de l’environnement de travail.

En attendant, cela ne peut pas faire de mal de travailler son employabilité en ajoutant quelques cordes à son arc (hospitality, community, maîtrise d’usage…) et en restant bien en veille grâce à des médias spécialisés.

Toute l’équipe d’ANews WorkWell se joint à moi pour vous souhaiter une très belle semaine !

Lionel Cottin
Directeur de la Rédaction