[EDITO] Est-ce la fin des restaurants d’entreprise ?

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« On se retrouve à la cantine dans 10 minutes ? ». Combien de fois avons-nous dit ou entendu cette phrase ? La « cantine » a toujours été, avec la « cafèt’ », le point de socialisation principal dans l’entreprise. Une belle invention, conçue comme un avantage social – accès à un repas varié et équilibré à moindre coût – destiné à fidéliser les salariés et leur éviter de préparer des « gamelles » lorsque la localisation de l’immeuble ou de l’atelier ne permet d’avoir accès à une offre de restauration commerciale à proximité.

La restauration est une brique essentielle de l’expérience collaborateur, comme nous l’ont rappelé les intervenants de notre table-ronde du 16 mai dernier (à voir en replay sur www.anews-workwell.com pour celles et ceux que le sujet intéressent, c’était très instructif !). Or l’expérience collaborateur est (ou devrait être) désormais au centre des réflexions de tous les professionnels de l’immobilier d’entreprise et de l’environnement de travail au sens large.

Deux constats récents confortent encore un peu plus cette tendance. Tout d’abord le fait que l’engagement des collaborateurs est devenu, en 2022, le critère numéro un des décisionnaires de l’environnement de travail, devant l’efficacité opérationnelle et le développement durable, tandis que les économies de coûts sortent du top cinq selon la dernière enquête d’ISS, menée auprès de ses cent principaux clients internationaux. Ensuite, le constat, terrible, que 45% des nouveaux embauchés démissionnent au cours de leur première année de contrat, d’après le cabinet de conseil en ressources humaines Square. A l’heure où de nombreux secteurs connaissent des difficultés importantes de recrutement, offrir une expérience collaborateur de qualité devient un enjeu majeur pour nombre de dirigeants d’entreprises.

Problème : le secteur de la restauration d’entreprise a beaucoup souffert pendant la crise sanitaire et on peut légitimement s’interroger sur l’avenir de ces prestations. La récente annonce du rachat de près de 20% du capital d’Elior par Derichebourg (devenant ainsi son principal actionnaire) est un signal, incontestablement. S’il stabilise le plus fragile des trois grands opérateurs du marché avec Sodexo et Eurest-Compass, il intervient au moment où le développement du télétravail bouleverse les équilibres financiers du modèle sur lequel reposait, depuis des décennies, la restauration collective, c’est-à-dire, pour résumer, la fréquentation !

Déjà mis à mal par les RTT, la multiplication des offres de restauration rapide et le développement de la livraison de repas, les grands restaurants d’entreprise connaissaient une certaine baisse de fréquentation qui rendait leur exploitation de plus en plus compliquée. Avec le télétravail, c’est tout un pan de ces restaurants qui se voit condamné, la fréquentation moyenne (sans parler du vendredi !) ne permettant plus de maintenir une cuisine et tout le personnel associé sur site.

La filière n’a bien sûr pas attendu les bras croisés et les grands opérateurs innovent et proposent de nombreuses prestations complémentaires pour à la fois ajuster leur offre et améliorer l’expérience du convive : kioskes thématiques, animations, caisses automatiques, extension des horaires, frigos connectés, espaces réaménagés pour se rapprocher des codes de la restauration commerciale, etc…

Il n’empêche que la baisse de fréquentation moyenne rebat les cartes de façon implacable : certains restaurants sont condamnés. Pas tous cependant. Au-delà d’un millier de repas jour, il n’y a pas vraiment d’alternative au restaurant collectif sur site, même s’il sera sans doute agrémenté d’une offre plus flexible : frigos connectés, cafétérias snacks, livraisons… En-deçà, ces offres flexibles remplaceront probablement les restaurants en place, sauf si l’employeur fait le choix de les maintenir en assumant les coûts supplémentaires.

Restent à voir comment les salariés français réagiront face à ces nouvelles offres de restauration flexibles, basées sur un autre modèle, fait de livraisons régulières à partir de cuisines centrales. Tout dépendra de la qualité des produits que les prestataires seront capables de délivrer et, aussi, du coût final pour le convive.

La restauration d’entreprise est en crise depuis déjà pas mal de temps, mais elle n’est pas morte, loin de là ! Les innovations foisonnent (les robots cuisiniers préparant les plats à la minute se perfectionnent), les attentes des collaborateurs sont toujours aussi fortes et les entreprises savent qu’elles devront se différencier et proposer une expérience renouvelée et de qualité à leurs collaborateurs.

Des circonstances nouvelles qui aiguisent les appétits de certains grands noms de la restauration commerciale. Dernier en date, Olivier Bertrand, patron et propriétaire du groupe éponyme, numéro deux de la restauration commerciale en France. Le groupe détient environ 5 % du capital d’Elior (tiens, tiens…) et Olivier Bertrand a souvent exprimé sa conviction qu’une convergence était inévitable entre restaurations commerciale et collective. Les grandes manœuvres ne font que commencer…

Toute l’équipe d’ANews WorkWell vous souhaite une belle semaine pleine de saveurs !

Lionel Cottin
Directeur de la rédaction d’ANews WorkWell