[EDITO] Démotivation, anxiété, fin de la « valeur travail » : bienvenue dans l’ère du « cocon » !

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Dans sa dernière enquête (1), la Fondation Jean Jaurès dresse un bilan alarmant du moral de la population française. Entre perte de motivation, fragilités physiques et psychologiques et distanciation vis-à-vis du travail, les résultats de l’enquête font apparaître une société où une part grandissante d’individus anxieux et impatients se replient de plus en plus sur eux-mêmes et leurs intérieurs. Une évolution qui va dans le sens de certaines thèses qui voyaient notre civilisation basculer dans le syndrome du « cocon » face aux menaces et au sentiment d’insécurité.

L’enquête nous révèle ainsi que depuis la crise sanitaire, 30% des sondés déclarent être moins motivés qu’avant. C’est encore plus vrai chez les plus jeunes, avec 40% des 25-34 ans contre seulement 21% des plus de 65 ans. Le phénomène touche également plus largement les habitants de la région parisienne (41%) que ceux des communes urbaines (29%) ou des zones rurales (22%).

D’une façon générale, l’enquête montre une fragilisation psychologique et mentale accrue depuis la crise sanitaire, et plus particulièrement dans la jeune génération. Au travail également, on constate cette instabilité émotionnelle. Le nombre d’arrêts maladie en France en 2022 a explosé, 42% des salariés ayant été arrêtés cette année, un chiffre plus important qu’avant la Covid-19. Les troubles psychologiques et l’épuisement professionnel, principaux motifs des arrêts longs, représentent désormais un cinquième des arrêts maladie, dépassant pour la première fois les TMS (troubles musculo-squelettiques).

Les auteurs indiquent par ailleurs que la crise sanitaire ayant renforcé « la société du sur-mesure et de l’immédiateté » (exemple avec le boom des livraisons à domicile), « le seuil de patience des individus s’est considérablement abaissé, ces derniers ayant de plus en plus de mal à gérer leur frustration » : 44% des Français disent ainsi avoir de plus en plus de mal à patienter avant d’obtenir quelque chose, 53% chez les 25-34 ans. Cette impatience se double d’une « épidémie de flemme », 45% des Français disant être régulièrement touchés par une envie de ne pas sortir de chez eux.

Ces évolutions s’inscrivent dans une tendance longue de prise de distance avec le travail. En 1990, 60% des sondés répondaient que le travail était « très important » dans leur vie. Ils ne sont plus aujourd’hui que 24% à faire cette réponse, soit un recul spectaculaire de 36 points en trente ans, bien plus que la religion ou la famille (de l’ordre de 10 points). Dans le même temps, la centralité des loisirs dans la vie des Français s’est, elle, renforcée de 10 points. Cette progression amène à une inversion des normes : alors qu’en 1990, deux fois plus de sondés considéraient comme « très important » le travail (60%) par rapport aux loisirs (31%), cette hiérarchie est aujourd’hui renversée : 41% pour les loisirs versus 24% seulement pour le travail.

Avec le développement puissant du télétravail en l’espace de quelques mois, ces évolutions ont tendance à renforcer l’envie de se créer un « cocon », un espace et un style de vie qui privilégie la sécurité au risque, la sédentarité au mouvement, la légèreté à la complexité, le zapping à la patience et instaure un nouvel équilibre entre les temps de vie. Les conséquences à long terme sont encore difficiles à lire, mais on peut redouter l’effet d’une nouvelle crise sur des individus impatients, angoissés et démotivés. Que se passerait-il si une récession économique et une hausse du chômage nous touchaient bientôt ? Un scénario malheureusement pas si improbable… Les entreprises, avec l’Etat et les partenaires sociaux, doivent désormais intégrer cette nouvelle réalité et inventer de nouveaux contrats sociaux offrant plus de souplesse, d’autonomie et de sécurité tout à la fois. Un vrai « reset* » ?

Toute l’équipe d’ANews WorkWell vous souhaite une belle semaine et vous donne rendez-vous très vite pour sa prochaine table-ronde intitulée « Smart workspace » (pour recevoir le replay en exclusivité, inscrivez-vous auprès de Marie-Christine Le Guellaut : mcleguellaut@agoramanagers.fr ).

(1) « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », Ifop-Fondation Jean Jaurès, Novembre 2022 : Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces – Fondation Jean-Jaurès

*réinitialisation

Lionel Cottin
Directeur de la rédaction

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