[EDITO] Attention, sérendipité en danger !

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Le futur du travail de bureau se dessine sous nos yeux, en ce moment.

D’un côté le télétravail qui s’ancre dans notre quotidien et dont le développement, même une fois la pandémie derrière nous, est confirmé enquête après enquête.

De l’autre des lieux de travail plus RSE-compatibles, plus accueillants, plus orientés collaboration et cohésion et recourant plus aux matériaux naturels, recyclables et recyclés.

Au milieu, une zone grise, « phygitale » diront certains, plus virtuelle que réelle, immersive, sans limites… Un métavers en construction dont on ne sait pas encore très bien définir les contours et, surtout, les implications.

Le grand perdant dans tout cela, c’est l’informel.

Comme le montrent très bien les différentes enquêtes réalisées par l’Institut Leesman auprès des salariés européens, le plus grand – et presque le seul – reproche fait au télétravail, est la perte des échanges informels tenus entre collègues ou avec son manager autour d’un café, d’un déjeuner ou d’un moment volé à la machine productiviste.

Cette valeur de l’instant informel, très immatérielle, est enfin apparue au grand jour et c’est une conséquence, heureuse pour le coup, de l’éloignement forcé auquel nous a contraint et nous contraint encore ce satané virus. Une valeur loin d’être négligeable et qui s’inscrit dans ce qu’Alan Fustec, fondateur de Goodwill Management et pionnier du sujet, appelle le capital immatériel de l’entreprise. Un capital qui représenterait d’après lui les deux tiers de la valeur d’une entreprise.

Certains s’étaient déjà emparés du sujet en promouvant le concept de sérendipité (« serendipity » en bon anglais) qui consiste, en schématisant à gros trait, à laisser le hasard faire surgir l’innovation. Une rencontre imprévue, un échange informel et, hop, surgit l’idée qu’on n’aurait jamais eue ou qu’on n’aurait jamais pu mettre en œuvre si chacun était resté dans sa routine.

Un bel exemple de sérendipité m’a été donné pas plus tard que la semaine dernière. Le club Agora des directeurs de l’environnement de travail recevait Christine Guinebretière, dirigeante et co-fondatrice de la start-up Upcyclea qui a bâti un outil tout à fait unique de gestion de son immeuble comme de son environnement de travail en mode circulaire. Et Christine de nous expliquer que l’idée de la création de sa start-up s’était décidée… à la machine à café, à l’occasion d’un échange inattendu et informel avec un ingénieur qui allait devenir son associé dans cette aventure.

Au même moment, une voix derrière moi murmurait « encore faut-il avoir une machine à café et un endroit où se retrouver ». Je rajoutais mentalement, « et un moment où l’un ou l’autre ne sont pas en télétravail ! ». Qui peut dire aujourd’hui combien d’idées, d’initiatives et d’innovations ne naîtront pas du fait du développement du télétravail ?

Plutôt partisan du télétravail par nature, l’anecdote m’a ramené au témoignage livré par Vincent Paul-Petit, dirigeant de Clestra-Hauserman, dans le numéro de décembre de l’excellent magazine Office & Culture. Il y explique pourquoi il refuse le télétravail dans son entreprise. Une position pas très « mainstream » et pourtant (ou donc, c’est selon…) très intéressante. Parmi ses nombreux et pertinents arguments, j’ai retenu celui-ci : « Un télétravailleur aura-t-il la même relation à son entreprise que l’employé qui se rend chaque jour dans le lieu commun à tous, et y retrouve ses collègues autour de la fameuse machine à café, symbole d’une convivialité fructueuse ? ». Avouons que la réflexion mériterait en effet d’être poussée. Nous revoilà typiquement dans le domaine de la valeur immatérielle d’une organisation de travail.

L’informel, comme la sérendipité, ne se décrète pas, ne s’organise pas et, jusqu’à preuve du contraire, nécessite la mise en présence dans un même lieu de vraies personnes. Par contre, l’un et l’autre peuvent être favorisés et la configuration des lieux, au même titre que la culture d’entreprise ou que les modes d’organisation du travail, peuvent les servir.

Les professionnels de l’immobilier d’entreprise et de l’environnement de travail ont un défi à relever : comment peuvent-ils aider à améliorer la qualité du temps de présence des collaborateurs sur leur lieu de travail dans un contexte de travail distant croissant ? Et participer ainsi à éviter la perte de valeur que représentent les échanges informels et impromptus perdus du fait de l’éloignement ?

Voilà très certainement un sujet qui mobilisera la rédaction d’ANews WorkWell en 2022 !

Très belle semaine.

Lionel Cottin
Directeur de la Rédaction ANews WorkWell